Attraction

Donc il y a des manèges, ou un unique manège peut-être, si l’on considère que c’est le mouvement qui importe ici, contrarié, immobilisé – rotation sur place. Maël Nozahic dit que cette ronde vient de Berlin, que c’est en découvrant un parc d’attractions mort de l’ex-Est, au coeur de Treptower Park, lui-même survivance socialiste, qu’elle en a eu l’idée. Spreepark (c’est son nom) est la décomposition même, vivante, tenace.
Maël Nozahic peint les forces opposées, la lutte d’une agonie sans fin. Dans sa série Ranch, les chevaux bien vifs, saisis dans l’instant académique façon Epsom de Géricault, sont cloués sur un rail et poursuivis par des hyènes, elles aussi empalées. Elles ne les rattraperont jamais. La chevauchée, comme dans l’huile qui porte ce titre, est toujours arrêtée, image plus terrible de la damnation que la course vers l’abîme chère aux romantiques. Ailleurs, sous le manège de Dadipark, un crocodile s’apprête à croquer tout ce qui dépasse, annonçant l’aquarelle sanglante d’Attraction, tout aussi étêtée que le Vieillard ou, évidemment, la chimère de Sans tête. Et même les arbres sont partout coupés ras.
Quant à ceux qui possèdent une tête encore attachée au corps, ils en ont malheureusement plutôt deux, ou trois, qui tirent dans tous les sens à la fois et empêchent tout autant le mouvement. Enfants siamois du Manège, chimères ou lions genre azulejos qui combattent de face ou de dos et se déchirent sans pouvoir se séparer. Et aussi la sépulcrale Famille, trio liquide confondu, d’où la tête, à nouveau, de l’ enfant émerge dangereusement d’une végétation capillaire. Pour ce qui se trame entre ces êtres tranchés, ces menaces dentues, la trinité et l’ unicité, le très grand format de la Mére nourricière ou la dresseuse de hyènes en donne sans doute la clé, enfouie quelque part entre les étranges protagonistes de cette «scène» psychanalytique. Chaque spectateur y projettera ce qu’il doit: les oeuvres sont faites pour ça.
Contrariété encore: la mort qui avive les peintures de Maël Nozahic ne manque ni de couleurs ni de substance. Elle vient comme un tatouage ou une lanterne magique sur la peau des animaux et des personnages et, à la façon des symbolistes, dénie tout réalisme à la représentation, laquelle scénographie le monde selon ses angoisses – maîtrise plus grande que de se soumettre au morne destin d’une fausse objectivité. La chevauchée, ainsi, tient d’ Edward Burne-Jones ou de Gustave Moreau, tandis que Party, rangé sous la même catégorie de «correspondances» par Nozahic, emprunte à James Ensor. Plus loin, le Lémurien, assis sur une mini-voiture de golf, a les mêmes yeux et jambes que le Cauchemar de Füssli, fantasme sous le signe de l’ étouffement, de l’ action impossible.
Peut-être que, comme chez ces artistes, «dresser les hyènes» est encore une façon d’ être une « mère nourricière», de tenir finalement la mort en lisière par la mort même, sidérée et muette: Maël Nozahic est bien sûr toute entière du côté de la vie.
Eric Loret, journaliste.

Ranchs, manèges et cavalcade

Death Party

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